Au début du mois d’août, le Secrétaire général de notre secteur, Olivier Nyssen, signait (avec un collectif de signataires) une carte blanche dans La Libre Belgique sur la réforme de la GRAPA : une lamentable régression.
La réforme de la garantie de revenus aux personnes âgées (Grapa) – avec son contrôle à domicile par les facteurs – va fragiliser des personnes déjà vulnérables vu leur âge et leur petit revenu. C’est une lamentable régression.
La garantie de revenus aux personnes âgées (GRAPA), bénéficie à des aînés de plus de 65 ans disposant de peu de moyens. De facto, elle succède au revenu d’intégration ou complète une petite pension (1). 104.265 personnes dont 68.107 femmes (65,3 %) en bénéficiaient en 2018. Pour un isolé, son montant est de 1.122 euros. Le bénéficiaire doit avoir sa résidence principale en Belgique.
Depuis le 1er juillet, il lui faut signaler tout déplacement à l’étranger au Service Fédéral Pensions sous peine d’une suspension d’un mois de son allocation. Il doit faire de même s’il part en Belgique pour un séjour de plus de 3 semaines. Un facteur de la poste contrôlera sa résidence au moins une fois par an à date aléatoire. En cas d’absence, il se représentera deux fois dans un délai de 21 jours. Si on ne lui ouvre toujours pas, il laissera un certificat de résidence à remplir dans les 5 jours ouvrables. A défaut, le paiement de la Grapa est suspendu. Cette réforme interpelle quant à sa matérialité, ses principes et son économie.
Atteinte à la liberté de circulation
Nombre d’aînés n’ont plus une fine ouïe et ne peuvent se payer un appareil auditif. Une sonnette peut être défectueuse. Il arrive de sortir au jardin ou d’aller bavarder chez un voisin. Parfois aussi une petite sieste s’impose. Certaines personnes âgées hésitent à répondre à un visiteur imprévu par prudence ou mauvaise expérience. Si elles ont été molestées par un malfrat déguisé d’un uniforme officiel ou se présentant comme un démarcheur, elles hésiteront à ouvrir leur huis. Pour tous ces motifs, le facteur pourrait trouver porte de bois sans qu’il y ait « malversation à la résidence ».
Cette réforme implique une restriction à la liberté de circulation des personnes. Hasard de calendrier, elle sort ses effets au moment où se négocie le Mercosur. Cet accord vise à amplifier le commerce entre Europe et Amérique du Sud avec d’évidents aléas pour le climat et l’agriculture d’élevage. Biens, services et capitaux, circulez sans entrave dans un capiteux libre-échangisme. Petites gens subsistant de la Grapa, ne bougez pas trop souvent. Ou alors remplissez des papiers. Une fois encore, l’argent semble, hélas, plus important que les gens.
Bientôt une puce électronique ?
Un formulaire pour déclarer une sortie à l’étranger ou un séjour prolongé chez un enfant en Belgique ? Et la tendresse, b….l ! C’est une intrusion dans la vie privée, une pratique presque infantilisante. La prochaine étape, ce serait quoi ? Une demande préalable d’autorisation de quitter sa maison pour voir ses semblables ? Une puce électronique qui géolocalise toutes les personnes bénéficiant d’une allocation sociale ? A titre second, l’obligation de déclarer tout déplacement à l’étranger est courtelinesque, voire kafkaienne pour un frontalier.
Il n’existe aucune étude publiée qui montre qu’il y ait avec la Grapa une importante « fraude à la résidence ». N’y-t-il pas d’autres abus qui pénalisent bien davantage la puissance publique ? Faut-il rappeler le chagrin des juges qui pleurent pour avoir de quoi rendre justice notamment en matière fiscale ? Le Président français envisage sérieusement de contrer le dumping fiscal des Gafa. Ils seraient taxés de 3 % sur leur chiffre d’affaires avec à la clé de significatives ressources publiques. 500 millions sont évoqués pour la France. Pendant ce temps, notre pays va embêter de petites gens vivant de la Grapa avec, au final, une économie de dépenses qui devrait avoisiner la roupie de sansonnet.
A la limite de la maltraitance
Trop d’aînés souffrent d’isolement social. En 2011, une enquête de la Fondation Roi Baudouin estimait qu’une personne sur deux de soixante-cinq ans et plus éprouve un sentiment de solitude. Pour lutter contre cela, il faut des contacts sociaux. En compliquant les possibilités de sortie et de moments partagés, la réforme de la Grapa lance un déplorable signal. Les personnes âgées sont davantage sensibles, vulnérables. Elles peuvent éprouver plus vite de l’inquiétude ou de la peur. Plus encore que vous et moi, elles ont besoin d’être rassérénées, rassurées. Par les contrôles et les risques de sanction qu’elle instaure, la réforme de la Grapa va susciter crainte voire stress chez une série d’aînés. Bonjour la maltraitance.
Le rôle d’un facteur est de distribuer le courrier et non de contrôler les citoyens. Des postiers déplorent déjà leur surcharge de travail. Où trouveront-ils le temps pour cette fonction d’indicateur ? Une tendance consiste à imposer à des prestataires de services de devenir des inspecteurs voire des dénonciateurs. La réforme de la Grapa va en ce fort mauvais sens. Elle fait penser à la fumeuse loi qui imposait à des travailleurs sociaux de dénoncer les informations pouvant indiquer la présence d’une infraction terroriste. Bien entendu, une vérification de la condition résidence peut s’imposer. Pourquoi ne pas la demander à l’agent de quartier ?
Exemple à suivre à Ostende
Vu la baisse du courrier, la poste doit se diversifier. A Ostende, avec le CPAS, elle le fait tout autrement en aidant les aînés de plus de 80 ans. Les facteurs sont formés pour détecter les personnes qui se trouvent dans une situation d’isolement. Ils reçoivent des formulaires à remplir lors de leur passage. Ils les complètent avec des questions à poser aux personnes mais aussi s’ils constatent des signes de détresse. Ces informations sont transmises au CPAS qui les analyse. S’il existe plusieurs signes d’une possible détresse, un assistant social visitera la personne pour voir si elle a besoin d’une aide.
Dernier petit détail. Si des bénéficiaires de la Grapa voient leur droit suspendu ou perdu, que deviendront-il ? Vont-il s’égayer dans la forêt de Sherwood (2) comme nombre d’exclus du chômage ? Peu probable. Ils iront vraisemblablement frapper à la porte du CPAS et les communes devront une fois encore banquer pour le Fédéral.
La réforme des contrôles de la Grapa va fragiliser des personnes déjà vulnérables vu leur âge et petit revenu. C’est une lamentable régression.
(1) Minimex.
(2) La Sherwoodisation désigne le fait qu’un nombre croissant de personnes disparaissent du système d’aide publique et des statistiques. Elles coupent tout lien avec la société et sont dans la débrouille. Avant l’explosion ?